Dégustation du 7 décembre 2012
AUTOUR DU CHAMPAGNE
Cette année, grande innovation : les ripailles ne commencent pas à 16 h, mais à 19 h. Peut-être à cause du Champagne, une dégustation noctam-bulle. Bon, à part ce petit détail, la tradition est respectée. Enfin, non. Il y a un autre détail inhabituel : l'échansonne enlumineuse n'enluminera pas ce soir. C'est Didier qui a la redoutable, l'effrayante, la monstrueuse responsabilité de la suppléer.
Donc, la tradition est respectée, disais-je : le relais de chasse amuse-gueule résonne de salutations joyeuses, d'embrassades discrètes, sonores ou familières, du cliquetis des fourchettes, des assiettes, des verres. Dans l'âtre, un imposant rondin équarri dispense une chaleur d'enfer. La soirée va être enflammée.
Autre rituel obligé, le Président déclare les festivités ouvertes. Mais le dos tourné vers la cheminée, il a le feu aux fesses. Il prononce donc l'avant-propos à la vitesse d'une messe basse de Dom Balaguère, avec juste le temps de dire que c'est notre dernière réunion 2012 et de congratuler Denis et Yves pour leur travail en cuisine. Puis avant d'être complètement rôti, il demande à Bernard de présenter ses deux invités.
Enfin ultime et chaude recommandation, il demande aux échansons de faire en sorte que l'atmosphère conviviale qui accompagne immanquablement nos banquets, ne perturbe pas trop les commentaires pleins d'enseignements de Patrice le Chenu.
Lequel présente illico le vigneron qui va nous régaler ce soir : "Créée au début du siècle, Alexandre Bonnet est une Maison de Champagne qui s'est constituée au fil du temps pour prendre son importance actuelle. Planté uniquement de Pinot Noir, dans la région des Riceys, son vignoble s'étend sur plus de 42 hectares. L'exploitation permet d'obtenir une récolte qui couvre une grande partie des besoins en raisins, celle-ci est complétée par un approvisionnement diversifié venant directement des meilleurs crus champenois, en particulier des grands crus de la Côte des Blancs dont les chardonnays participent harmonieusement aux assemblages les plus subtils."
Il termine sa présentation par une question faussement naïve : "Tout le monde connaît la fabrication du Champagne ?" "Non !" répond un échanson pince-sans-rire. Sans se démonter, le Chenu se lance dans une leçon magistrale sur l'art et la manière de vinifier le Champagne. Quelle classe ! Tout le monde connaissant la fabrication du Champagne, je ne vous donne que l'épilogue : le Champagne est la seule appellation française qui a le droit de faire du rosé en mélangeant du vin rouge avec du vin blanc. Droit dont les Champenois usent sans parcimonie.
Puis Patrice nous explique mine de rien qu'il y la bonne et la mauvaise méthode pour ouvrir une bouteille de Champagne : "On pousse le bouchon avec les pouces et on le fait sauter au plafond pour esbaudir ses invités. Ça c'est la méthode…" Patrice cherche un mot. Bernard vient à son secours : "La méthode bling, bling !" "C'est ça !" s'esclaffe Patrice guilleret. Maintenant, il nous indique la méthode normale : on tient le bouchon et on fait tourner la bouteille en retenant ledit bouchon pour qu'il ne s'échappe pas.
En veine de confidences, P. Le Chenu nous explique que Denis lui a appris quelque chose dans l'art de servir le Champagne : on remplit le verre jusqu'au tiers, puis on le complète. Pour éviter que la mousse déborde. De préférence dans des flûtes. Avec les coupes, les bulles envahissent le nez.
Le Champagne doit être servi à 6 - 8 °. Le plus simple est de mettre la bouteille dans un seau d'eau avec des glaçons.
Petit blabla sur la côte des Bar : elle occupe 750 ha sur du calcaire marneux, Kimméridgien, du jurassique supérieur, comme le Chablis. Terroir le plus méridional du vignoble de Champagne, la Côte des Bar traverse le village des Riceys, avec ses 3 appellations d’origine protégée : Champagne, rosé des Riceys et coteaux champenois.
Le bonheur est dans le pré en bulles, le Président souhaite une bonne soirée à tous.
Les Maîtres bouteillers, Philippe, Bernard et Aurélien servent le premier champagne : la Grande Réserve, 70% de pinot noir, 20 % de chardonnay et 10 % de pinot meunier.
P. Le Chenu nous informe que ce champagne a eu une note de 15,5/20 dans Le Point, et qu'il est recommandé pour l'apéritif… raison pour laquelle il est servi en apéritif !
Les gentes dames aubergistes, Catherine, Cécile, Chantal et Florence attaquent leur office. Chacune déam-bulle de convive en convive pour servir les toasts de saumon fumé. Tandis que les bouteillers emplissent les verres de la Cuvée Extra noir brut.
P. Le Chenu précise qu'il s'agit d'un champagne 100 % pinot noir, avec très peu de sucre rajouté. Tous les échansons ont remarqué les notes de sous-bois, la longueur en bouche et le vin aérien. La note du Point : 17/20.
Puis il évoque avec ferveur le carafage des champagnes, ce qui surprend plus d'un convive. Quinze minutes maximum pour les champagnes ordinaires. Il paraît que cela les améliore. Quant aux vieux champagnes, pas plus de cinq minutes pour en tirer toute la substantifique saveur.
La deuxième mise en bouche arrive dans les assiettes : des brochettes thaï aux épices douces. Un échanson curieux demande la recette à Denis. Celui-ci répond qu'il faut bien décongeler les brochettes avant de les mettre au four sous une feuille d'aluminium, puis monter la température lentement, pour qu'elles restent moelleuses. Il ne faut pas fatiguer les mandi-bulles.
Un rosé des Riceys 2008 les accompagne.
P. Le Chenu nous explique benoîtement : "Le vin Rosé des Riceys une production champenoise unique et prestigieuse. Le Rosé des Riceys, vin tranquille, est élaboré avec des raisins de Pinot Noir provenant de coteaux pentus et bien exposés. Issu d’une vendange traditionnelle, le vin n’est élaboré qu’en année ensoleillée. Les grappes sélectionnées sont déposées en cuve, un foulage léger démarre la fermentation. Celle-ci est surveillée jour et nuit, d’heure en heure afin de déterminer l’instant précis mais imprévisible où naissent les arômes particuliers au vin rosé des Riceys. Grâce à la finesse de son palais et à sa mémoire, le vinificateur détermine le moment propice de la décuvaison. La couleur du vin rosé des Riceys peut être plus ou moins soutenue d’un millésime à l’autre. Seule la dégustation confirme l’appellation."
Notre Maître des Chais nous glisse que certains sommeliers servent le rosé des Riceys comme un vin rouge.
Il semble que le carafage du champagne turlupine nombre d'échansons qui craignent que ce traitement barbare fasse disparaître les bulles. Le Chenu dégaine une citation sans réplique : "La qualité d’un champagne est dans sa matière, pas dans ses bulles. » Le carafage améliore la matière ; surtout pour le pinot noir et les champagnes bas de gamme. Un échanson contrariant déclare mordicus, qu'un champagne sans bulles c'est du vin blanc.
Tout à trac, Denis rappelle virilement à leur devoir des bouteillers un peu somnam-bulles, dans un chahut indescriptible. Les interpellés s'exécutent en protestant. La Cuvée blanc de noir arrive avec le foie gras au pain de campagne.
Ce champagne, 100 % pinot noir, a des notes de gelée de sureau et de poire, dixit P. Le Chenu. Incontesta¬ble¬ment. Le Point l'a noté 16,5/20. Le guide Hachette lui a donné une étoile.
Probablement troublé par son intervention croque-mitaine, Denis commence à servir la purée au lieu des cailles. Damned ! Grand concilia-bulle autour du Maître de bouche qui reprend sa purée, et repart chercher les cailles, qui seront mariées avec une Cuvée noir extra brut rosé.
P. Le Chenu nous apprend qu'il s'agit d'un rosé 100 % pinot noir. En bouche, c'est la groseille qui apparaît de prime abord. C'est un vin robuste montant en puissance pour nous amener en fin de bouche à une touche de minéralité typique du terroir des Riceys.
L'écrasée de pomme de terre truffée revient, pour de bon cette fois. Malheureusement il s'agit d'un échantillon. Heureusement il y a du rab. Avec une Cuvée millésime 2006.
P. Le Chenu nous déclare qu'il s'agit d'un champagne 50 % pinot noir, 50 % chardonnay. A boire avec un canard laqué. Robe or clair, où la brillance met en évidence des bulles très fines. Nez délicat, miellé, de pain d'épices nuancé de pâte de coing. Bouche superbe, ample, d'une grande persistance aromatique, où l'on retrouve le miel. Non, non, je n'affa-bulle pas.
Pour accompagner le chaource, P. Le Chenu avait prévu un coteau champenois 2003. Par malchance, il s'est évaporé dans la livraison. Il est donc remplacé par la Cuvée perle rosée prévue pour les macarons ! Caramba ! la Cuvée douceur, prévue pour la tartelette, a subi le même sort. Une échansonne déclare qu'elle va demander un rabais.
C'est donc la Cuvée expression rosée qui va accompagner la charlotte framboisée et les macarons amande-framboise. Encore un 100 % pinot noir. Ce rosé présente une belle robe pourpre brillante avec des reflets cuivrés, le tout animé par une montée de bulles fines et régulières. Les arômes portés par cette effervescence évoquent la fraise, la cerise et la groseille.
Dans ce charivari de bulles, Christiane a le malheur de parler d'eau. Bernard lui demande aussitôt si elle est malade ?
Avec la tartelette tatin à la mangue, un magnum de la Cuvée perle rosée, aux arômes de petits fruits rouges, vient clore la soirée. 16/20.
Il ne reste plus au Président qu'à conclure les agapes ; il félicite P. Le Chenu et Denis pour leurs contributions toujours aussi appréciées ; il remercie Catherine qui nous accueille gratis et titille Guy qui a mis une cravate… avec une bécasse. Laquelle provoque beaucoup de commentaires que je tairai zici.
Puis, tout le monde se lève et entonne joyeusement : "A la, à la, à la santé des confrères... ♫... qui nous régalent aujourd'hui... ♫…
Ah ! Mes amis, encore une belle soirée boit-sans-soif pétillante, réjouissante, enivrante. Evanouis les soucis, envolés les petites misères, effacées les mauvaises mines. Ah, ces mises en bouche bien mitonnées, réchauffées à point, quel festin ! Et ces petites cailles régale-papilles ! Et ces desserts, délectables, colorés, parfumés ! Et quelle merveille, ces incomparables bulles de pinot noir, frétillantes, chatouille-palais ? Ah ! Mes amis, les avez-vous appréciés, ces moments d'enchantement remonte-moral qui s'invitaient par vagues, déferlantes, fracassantes, raz-de-marée ? Alors ? Vivement l'année prochaine !
Echansonnes, échansons, haut les flûtes, buvons !
Le Maitre Epistolier Jean Louis Bourgouin