La Saint-Gui du 5 novembre 2011
Restaurant la Toque Blanche
Pour la Saint-Gui 2011, la Confrérie pratique l'alternance... gastronomique bien sûr. A 19 h 30 les échansons endimanchés se retrouvent à l'auberge de la Toque Blanche, une adresse régale-gourmets aux Rosiers sur Loire.
Une affluence de bon aloi s'apprête joyeusement à banqueter. Conformément à la tradition, les tables sont répertoriées par une appellation, on se demande pourquoi, inspirée du vocabulaire œnologique. Cette année, les sols : sable, gravier, etc... Le président invite les convives à se poser. Une place pour chaque séant, chaque séant à sa place !
Un président stressé. C'est que 2011 est cru riquiqui pour notre confrérie. Ah ! Mes amis, pas un seul intronisé nouveau. Même pas un petit débutant. Rien.
Mais, foin de maussaderie, la crise des vocations ne décourage pas un échanson. Nous allons l'avoir notre intronisation, et quelle intronisation ! Le Maître de Chais en personne ! Notre maître ès vignobles, cépages, terroirs, notre puits de sciences incollable, inusable. Un puits sans eau cela va de soi. Eh, oui ! Patrice Besnard, le fondateur de notre échansonnerie, l'initiateur de moult baptêmes depuis 1994, n'a jamais subi la grandiose épreuve de l'intronisation, n'a jamais connu le bonheur de l'adoubement. Un vrai crève-cœur.
Alors, pour bien attaquer cette soirée mémorable, les maîtres bouteillers, Denis et Aurélien remplissent les coupes. Un champagne finement pétillant de N. Falmet.
Le Grand Échanson déclare ouverte la Saint-Gui 2011, puis il invite l'assemblée à se lever pour trinquer à la santé de notre confrérie et de tous ses membres. Haut les coupes, buvons !
Bernard Jacob, le Maître des Cérémonies, encourage chacun à s'esbaudir moult grandement, avant d'ouvrir la 193ème cérémonie de la Saint-Gui. Enfin, il appelle au Pressoir, le Grand Échanson et le Maître Laudateur, Philippe Guimon. Un dialogue to be or not to be s'amorce :
- Le Grand Échanson : "Échanson, Pourquoi es-tu là ?"
- Le Maître Laudateur : "Pour découvrir et faire connaître."
- Le Grand Échanson : "Découvrir quoi ?"
- Le Maître Laudateur : "Les mystères du vin et approcher ses secrets"
- Le Grand Échanson : "Et faire connaître quoi ?"
- Le Maître Laudateur : "Les valeurs qui sont le socle de notre Confrérie"
- Le Grand Échanson : "Quelles sont-elles ?"
- Le Maître Laudateur : "L’humilité devant le travail, l’écoute des autres confrères, le respect des différences et la mesure en tout !"
- Le Grand Échanson : "Maître Laudateur, d’où viens-tu ?"
- Le Maître Laudateur : "Du dehors et du bruit."
- Le Grand Échanson : "Qui t’a ouvert nos portes ?"
- Le Maître Laudateur : "Les Pères du Collège et le Grand Échanson d’alors qui m’a adoubé."
- Le Grand Échanson (après un temps de réflexion) : "Oui, ce passeur de connaissance qui a écrit la charte à laquelle nous nous référons, celui qui a été le dépositaire du premier sceptre, Maître Laudateur l’a-t-on justement honoré ?"
- Le Maître Laudateur : "Je ne le crois pas, Grand Échanson ! »
- Le Grand Échanson : "Réparons cet outrage ! Cette entreprise est indispensable mais il nous faut de l’aide ! Maître des Cérémonies, allez quérir le secours de notre Ambassadrice et écoutons ce qu’elle a à nous dire !"
Le Maître des Cérémonies, observateur ange gardien de ce dialogue shakespearien, clame aussitôt : "J’appelle au pressoir notre ambassadrice"
Catherine s'approche. Rosissante, elle s'adresse au Maître de Chais. Sa voix lyrique saisit l'assemblée :
- "Saint-Exupéry a dit : "Le plus beau travail de l’homme, c’est de le rassembler !" Oui, il y a de l’utopie à vouloir créer l’union.
Avec lui, nous nous sommes mis en marche et, grâce à cette marche, nous nous maintenons en mouvement.
Il maîtrise l’art du chef, non pas d’être au-dessus mais avec, et juste un peu en avant !
Il a la retenue du maître d’arme qui pourfend, en arabesques guerrières, son aire et retient la portée de son coup dans l’infinitésimale espace avant le toucher.
Il a la sensibilité du calligraphe d’Orient qui pose pour l’éternité sur l’écru de sa toile à l’encre déliée ses reflets d’âme : force et beauté !
Avec lui, sous la voûte minérale des Ardillers, c’est beaucoup de Loire qui est entrée. Il a parfois le pas lent des mariniers fatigués, ceux qui savent que rien de profond ne se fait dans le bruit et que tout pousse en silence !
Maître de Chais, assembleur de ce qui est épars, avec nous ici comme autant de cépages, tu as su créer l’alchimie.
Travail de chaque jour, jusqu’à l’entêtement, tu as porté, ahané, poussé sur les manchons de ta charrue de Valereaux pour travailler le fond, cet essentiel invisible, silencieux, loin des ors dans le noir mat !
Là, sur cette roche mère, identité d’un terroir, nous avons créé la nôtre.
Avec lui, enivrons-nous des aubes et des couchants du grand chemin d’eau, liaison du Forez et du Muscadet que par magie nous survolons sous les ailes de la sterne !
Maître de Chais, guide des macérations, puisses-tu nous inspirer longtemps !
J’appelle au pressoir Patrice Besnard !"
Patrice s'approche et évoque avec émotion, les débuts de la confrérie ; il se réjouit de son évolution, il se félicite de la qualité des échansons et de la convivialité qui règne dans la confrérie.
Après ce raz-de-marée de nourritures spirituelles intenses, une assiette de poêlon de St Jacques au parfum de Noilly nous ramène sur terre.
Pour agrémenter ce régal, au fumet prometteur, deux vins blancs : Côte de Bourg, château Brulesécaille 2009 et Savennières, château de la Mulonnière 2002. Les maîtres bouteillers ayant laissé les échansons dans l'ignorance, un grand brouhaha de supputations résonne autour des tables : lequel est lequel ? Dur, dur les dégustations à l'aveugle !
Cette parenthèse dégustée, le Maître des Cérémonies renoue le fil :
- J’appelle au pressoir : le Maître Laudateur, les Maîtres Argentier et Chancelier ainsi que le Grand Échanson. Nous allons procéder à la cuvaison de notre Maître de Chais. J’appelle au pressoir Patrice.
L'impétrant s'exécute illico, et Philippe s'adresse à lui :
- Nous allons te demander avec l’émotion qui sied dans le regard, dans la palpitation des cœurs mais dans la fermeté de la voix, de promettre de toujours chercher à découvrir, de toujours désirer apprendre à connaître, de toujours aimer et défendre tous les bons produits de nos vignobles et de nos bonnes tables de France. Patrice, le promets-tu ?
Patrice, en vieux routier de l'intronisation, ne susurre pas un petit "je le promets" d'intronisé nouveau, mais exprime un "je le promets" de stentor qui fait trépider le plafond, et déclenche un tintouin d'applaudissements nourris.
Le Président s'adresse aux échansons : "Mes amis, réjouissons-nous de la constance, de l’immense respect que nourrit pour la vigne et le vin, ainsi que pour ceux qui le font, notre Maître de Chais."
Puis il ajoute : "Levons-nous. Nous porterons cette santé à l’esprit du vin, à celui qui refait de l’homme ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, je veux dire… l’ami de l’homme. Haut les coupes ! A l’esprit du vin, à tous ces hommes et ces femmes qui le font… Buvons ! Asseyons-nous et banquetons !"
Cette injonction est incontinent suivie d'effet. Le plat de résistance se dandine de table en table : un filet de bœuf rouge des prés aux girolles et légumes du marché. Un subtil tête-à-tête de crêpe de chou-fleur, de gratin dauphinois et de purée de brocolis.
Les maîtres bouteillers l'accompagnent de deux vins rouges : Haut-Médoc, La Tour Haut Caussan 2005 et Saumur-Champigny, château Villeneuve 2005.
Cette parenthèse ingurgitée, le Maître des Cérémonies renoue le fil :
- J’appelle au Pressoir le Maître Laudateur, le Maître Bouteiller, le Maître de Bouche, le Grand Échanson et le Maître de Chais.
Le Maître Laudateur s'adresse à l'impétrant :
- Mesdames et Messieurs notre docte assemblée comme vous le savez ne reçoit pas en son sein quiconque le demanderait, mais en cette St Gui si particulière elle n’aura pas l’outrecuidance de te faire subir l’épreuve du premier collage, celle de l’eau et du vinaigre, rite de passage réservé aux apprentis. A l’instar des corps d’élite qui chaque jour se remettent en cause pour toujours honneur et confiance gardé, nous allons demander à notre Maître bouteiller et à notre Maître de bouche de te mettre à l’épreuve.
L'assemblée tonne bruyamment son approbation.
Denis remplit un verre d'un vin blanc mystérieux et le Maître Laudateur interroge Patrice : "De quelle région est ce vin ?"
Le Maître de chais se concentre :
- Je sens le chenin de notre Anjou.
Errare humanum est. C'est un Bordeaux.
- De quel producteur ? Lui demande le Maître Laudateur.
Patrice mâche une goulée, l'œil mi-clos, et annonce :
- Un Doisy-Daene.
Bravo ! Gagné !
L'épreuve se poursuit avec un vin rouge. Patrice se concentre et annonce :
- Un Anjou de chez Vaillant.
Bravo ! Encore gagné !
Mais Patrice avec son honnêteté coutumière, avoue que Denis, voulant lui éviter de se prendre les papilles dans le tapis, lui a soufflé les réponses. Malheureux ! Son honnêteté est saluée par un "Ouh !" général.
Le Maître Laudateur, faisant fi de cette bronca, continue à lire son texte :
- Qu’en pense notre Maître bouteiller ?
Guy, toujours pince-sans-rire, s'exclame : "Rien, il a triché !"
Le Maître Bouteiller, imperturbable, poursuit le cérémonial :
- Je pense, mais en doutions-nous, que la bouche est bonne ! Cette épreuve que nous avons partagée, toi dans l’humilité, tes sens aux aguets, nous, dans la crainte de te voir douter, nous a permis de vibrer en silence à l’unisson. Oui ! Ici et maintenant, Mousquetaires nous sommes, un pour tous, tous pour un !
Et le Grand Échanson de renchérir benoîtement :
- Mes bons compagnons, réjouissons-nous ensemble puisque notre Maître de Chais a brillamment surmonté cette épreuve. Aussi, si vous le voulez bien, boirons-nous avec bonheur à ta santé et par la même occasion, à la nôtre ! Quand les verres sont pleins, on les vide. Je demande à cette aimable assemblée de se lever afin de porter une santé à celle de notre Maître de Chais et à la nôtre. Haut les Coupes ! Santé pour tous et tous les vôtres. Buvons, asseyons-nous et banquetons !
Sur-le-champ, les assiettes de Saint-Nectaire fermier arrivent à la queue leu leu.
Notre Président, plein de sollicitude pour ses ouailles, fait le tour des tables. Il nous fait remarquer combien il est difficile de synchroniser la cérémonie avec le service des plats. Surtout qu'il s'écoule un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, entre les premiers et les derniers servis.
Cette parenthèse avalée, le Maître des Cérémonies renoue le fil : les échansons avec un tablier rouge sont appelés au pressoir.
Le Maître Laudateur s'adresse à l'impétrant :
- Je vais te lire, plus pour nous que pour toi, afin que chacun s’imprègne de l’esprit de cette confrérie et de l’engagement qui sont les nôtres, les commandements de notre Confrérie.
Il lit, puis ordonne :
- Maintenant lève la main droite... Promets-tu de respecter nos commandements ?
A l'étonnement général, le Maître de Chais répond : "Je le promets".
Aussi, le Maître Laudateur marmotte un faire-part de satisfaction :
- Nous prenons acte de ta promesse... Je prie l’aimable assemblée de bien vouloir se lever !
Cette prière déclenche un branle-bas de chaises.
Le Grand Échanson saisit le Cep glorieux, puis il s’adresse au novice en lui disant :
"Par Bacchus, Dieu du vin,
Par Noé, père de la vigne,
Et par Rabelais notre bon maître à tous,
Après décision de notre docte collège,
En ce jour mémorable,
Te faisons officiellement échanson,
De cette respectable société,
Et que nos vins de France et de Loire
Te rappellent à jamais
L'art du bien vivre qui est le nôtre."
Le Grand Échanson procède à l’adoubement. Guy, Maître Ambassadeur, est chargé de remettre son diplôme à Patrice. Toujours pince-sans-rire, il s'écrit : "Enfin j'ai quelque chose à faire ! Je commençais à penser que je ne servais à rien !" Il remet son diplôme à Patrice. Des échansons s'ébahissent. "Tu n'avais pas de diplôme ?". Eh, non ! Notre Maître de Chais n'était pas diplômé. Nonobstant et néanmoins, il nous enseigne savamment les vertus du vin et de la vigne, chaque mois depuis le siècle dernier.
Le Grand Échanson :
- Mes amis, réjouissons-nous de maintenir parmi nous ce beau maillon. Puisse sa force donner à tous l’envie de maintenir l’union. Nous porterons pour tout cela une Santé. Maîtres Bouteillers à l’ouvrage ! Regagnons le Chai !
Guy, toujours pince-sans-rire, annonce : "Patrice me fait savoir que vous êtes tous invités chez lui après la cérémonie". Denis, toujours bon plaqueur, rétorque "Et après nous allons manger la soupe à l'oignon chez Guy !".
Petit entracte, avec le blanc-manger et son coulis de fruits rouges.
Cette parenthèse engloutie, le Maître des Cérémonies renoue le fil.
Il convie au Pressoir le Grand Échanson, à qui échoit comme chaque année la tâche rebrousse-poil de clore la soirée :
- Levons nous ! En l’honneur de notre Maître de Chais, des Gentes Dames et des Gentilshommes ce soir réunis, levons nos verres, et que revive avec nous la Tradition de Gui Damas de Cousan, Premier Échanson de France au XIVème siècle, Saint Patron de notre bien-aimée Confrérie et dont la vocation, comme tout Échanson, était avant tout de rendre ses semblables heureux ! Haut les coupes ! Buvons !... Asseyons-nous pour finir de banqueter et fermons très confraternellement ce Grand Chapitre de la Saint Gui 2011.
Puis il offre à Patrice, au nom de la confrérie, un présent porte-bonheur. Et pour accompagner ce geste auguste, il invite l'assemblée à entonner la chanson des échansons :
"A la ! A la ! Santé du confrère, etc.... !"
Dans une ambiance indescriptible, Patrice déballe un Saint-Vincent coloré, qui, nous l'espérons tous, veillera longtemps sur notre Maître de Chais, Patrice le chenu, le dévoué. L'ami.
Quelques mots de remerciements un brin nostalgiques, les ans peut-être, viennent clore cette cérémonie mémorable.
Irène, l'échansonne toujours enlumineuse, invite le Chapitre à se regrouper pour une photo de famille souvenir. Pour la postérité. Juchée sur une chaise, elle instantanise l'instant. Inspirés par cette ascension, les Maîtres entonnent "Les montagnards, les montagnards sont là... ♫... !", aussitôt repris en choeur par l'assemblée... ♫.... L'ivresse des montagnes ?
Pour accompagner les mignardises, l'Ackermann X Noir parachève cette soirée pétillante.
Ah, Vrai ! Mes amis, quelle cérémonie pétillante ! Avez-vous senti ce Maître de Chais plein d'expérience, le regard encore vif, le cœur toujours jeune ? Comme il montra de l'humilité, du savoir-vivre, de la bonne humeur. Oui ! Digne fondateur de notre Confrérie. Et tous ces échansons affectueux qui l'encourageaient. "A la, à la, à la santé de notre vieux confrère... ♫..." Saperlipopette ! Ce fut assurément émouvant, réjouissant, réchauffe-cœur.
Echansonnes, échansons, buvons !
Le Maitre épistolier
Jean - Louis Bourgouin